Diane

La vie n'est que le rêve d'une ombre : je l'ai senti de nouveau ce soir avec intensité. Je ne m'aperçois moi-même que comme une apparence fugitive, comme l'impalpable arc-en-ciel qui flotte un instant sur la bruine, dans cette formidable cascade de l'être qui tombe sans relâche dans l'abîme des jours.

 Henri-Frédéric Amiel : Journal Intime, le 29 août 1872.


Mardi dernier je revenais de mon travaille au Lycée Jacques de Vaucanson, où j’enseigne l’anglais, quand, après avoir traversé le Pont Wilson sur la Loire, descendu du tramway à la Place Anatole France, et marché vers le 12 Rue de Constantine, où j’habite, j’ai remarqué une voiture qui était stationnée de l’autre coté de la rue, avec quelqu’un qui me regardait. Tout en essayant de trouver mes clefs dans mes poches, un tremblement de mains m’a saisi quand je me suis aperçu que la fille dans la voiture était Diane. On s’est regardé fixement pendant une minute; elle semblait être préoccupée; puis elle a baissé ses yeux. J’avais des difficultés à respirer. Cela faisait déjà plusieurs mois qu’on ne se parlait plus. Nous nous étions disputés a cause de son copain que je n’aime pas, parce qu’à mon avis, il a une mauvaise influence sur elle. Par conséquent, elle s’était fâchée, et avait déménagé ailleurs. Avant que je sois entré à la maison elle m’a regardé une fois de plus, comme si elle me disait : « Adieu papa ». Ensuite elle a démarrée la voiture et s’en est allée.
     Bouleversé par ce que je venais de vivre,  j’ai quand même fini par ouvrir la porte, et je suis entré dans la maison. J'ai tout de suite aperçu Leslie, mon petit garçon, qui regardait la télévision. Des qu’il a senti ma présence il m’a appelé : « Viens papa, je veux te montrer quelque chose ». Je lui ai répondu : « Attends un moment, je dois parler avec ta mère ». Ma femme et moi, nous nous sommes dirigés vers la cuisine pour que Leslie ne nous écoute pas. Nous nous sommes assis devant la table à manger. Le chagrin étranglait ma gorge, mais j’ai finis par lui demander : « Alors, c’est vrai? ».  « Oui » m’a-t-elle répliqué. Et avec un mépris évident elle a ajouté : « Elle s’est mariée avec ce mec-la ».  A ce moment-là, l’angoisse m’a envahi et  je me suis mis à pleurer.


Soudain, mes larmes me réveillèrent et je me demandais bien quelle signification pouvait revêtir ce rêve? Pourquoi Diane vivant à des milliers de kilomètres avait elle pénétré mon intimité? Y avait-il un lien entre mon inconscient et ma conscience? Alors je me mis à réfléchir et j'en déduis que, le passé très présent dans mon songe, mêlé à une réalité existante, avait pour but sûrement de me délivrer un message. Leslie étant jeune symbolisait une époque révolue aujourd'hui; et Diane, cette fille que je n'ai jamais eu, semblait vouloir me montrer que le temps passe et qu'il faut savoir se débarrasser de certains espoirs.
     Mais pourquoi cette fille semblait triste ? Quel message voulait-elle me communiquer ? Le renoncement à l'impossibilité de la comprendre ou à la non possibilité de s'incarner dans sa mère ? Peut- être sa mère, sous les traits de sa fille, hantait ma vie ? Est-ce que la tristesse de sa fille  et le rejet de ma femme signifiaient que j'avais échoué dans ma vie sentimentale? Mais peut être que ce songe était aussi un présage du futur, un oracle dissimulé qui me faisait entrevoir que, malgré toutes les difficultés du temps qui s'échappe, du lieu qui nous sépare, un espoir était possible; et que Diane (la jeunesse, le futur), dans cette voiture symbolisant la fuite, me transmettait un code qui voulait dire : « Ne m'abandonne pas, malgré toutes les difficultés auxquels tu auras à  faire face ».


Alors ce rêve si mystérieux soit-il, me laissant dubitatif, me rappelle que parfois les rêves peuvent guider nos vies, qu'ils soient répétitifs ou juste des moments de pures évasions, de joies ou de peine. Mes yeux deviennent de nouveaux  lourds, la fatigue me gagne et je me dis que, s’il se répète, il va, peut être, doucement dévoiler tous ses secrets.

©William Almonte Jiménez, 2017